Sophie Carbonari : « Malgré des avancées, l’industrie wellness demeure trop peu inclusive »
Révélée par une poignée de top models et d'actrices célèbres qui comptent parmi ses plus fidèles clientes, la talentueuse Sophie Carbonari s'est imposée comme l'une des facialists stars en quelques années seulement. Retour sur le riche parcours d'une passionnée, au regard sans fard sur une industrie du bien-être qui peine encore trop souvent à représenter toutes les femmes.
Quelles ont été les grandes lignes de votre parcours?
J’ai commencé à travailler en 2007. J’ai toujours eu une prédilection pour les soins du visage, les techniques de massage et j’ai donc commencé par de l’esthétique généraliste. Après des débuts à Marseille, j’ai ouvert mon propre institut à Aix en Provence. J’ai ensuite décidé de partir à l’étranger, et ainsi mis le cap sur Londres. J’y ai appris l’anglais, puis j’ai intégré un wellness center Japonais. Ca m’a confortée dans mon envie de me focaliser sur les soins du visage et les pratiques Nipponnes, l’idée de marier plusieurs techniques de soin occidentales et asiatiques a commencé à germer. J’ai ensuite eu envie de travailler à New York. J’y ai travaillé comme esthéticienne dans plusieurs médi-spas, cela m’a permis de me positionner, de savoir ce que j’avais envie -ou pas!- d’explorer. En 2018, c’est là que ma carrière prend un tournant: je reviens à Londres et je commence à élaborer ma propre technique de soin.
Quels sont vos derniers coups de coeur en matière de beauté?
Le seul concept d’éco-responsabilité ne suffit pas à me séduire, mais je dois admettre que lorsqu’on trouve des produits vraiments efficaces qui s’accompagnent en plus d’une démarche écologique, c’est l’idéal. J’aime beaucoup In fiore, une marque Californienne crée Julie Elliott, une botaniste qui a crée une gamme de produits inspirée des routines de soin Japonaises. Des décoctions de plantes aux propriétés apaisantes, des odeurs naturelles et surtout, on constate un vrai effet sur la peau. J’aime aussi Oskia, une marque anglaise aux propriétés régéneratives, ils ont un excellent produit à la vitamine C. Je citerais aussi Delbôve, une marque belge de cosmétiques naturels que j’utilise souvent.
Vous créez également vos propres formules. Pouvez-vous nous en dire plus?
Oui, j’utilise des remèdes de grand-mère, des recettes ancestrales africaines ou issues de l’ayurveda.
Je cible en général un ingrédient précis aux propriétés multiples, comme l’huile de baobab ou l’huile de ricin, qui constitue le point de départ de mes préparations. Je concocte ensuite mes propres produits, en assemblant des ingrédients et végétaux complémentaires selon l’effet recherché.
Cela ne vous donne pas envie de créer votre propre marque?
S,i bien sûr! C’est l’un des projets qui me tient à coeur, et qui viendra en temps voulu! Chaque chose en son temps…
On assiste à un véritable engouement autour du phénomène « facialistes ». Quel regard portez-vous là dessus?
L’industrie du bien-être se voit souvent montrée du doigt pour son uniformité et son manque flagrant de diversité. En tant que femme noire, quel regard portez-vous sur son évolution?
Il reste évidemment des progrès à faire. Il est assez frappant de constater que je suis l’une des seules femmes noires européennes à m’être fait un nom dans ce secteur très fermé. En Europe, on compte seulement une poignée d’expertes beauté renommées qui amènent de la diversité et ces questions commencent tout juste à être abordées!
Les femmes noires n’ont jamais été justement représentées dans cet univers là. Les gens ont tendance à communautariser la beauté, et considèrent que seuls des people of color peuvent prendre soin de leurs pairs. Quant aux personnes asiatiques ou indiennes, elles sont intégrées à l’univers wellness mais il y a un rapport assez dérangeant, car elles sont sur-représentées sans toujours bénéficier suffisamment de la reconnaissance qui devrait leur revenir. Plusieurs clients sont venus à moi en m’expliquant qu’ils avaient été séduits par mon profil Instagram, où l’on peut nettement voir que je traite tous types de peaux et d’éthnies.
C’est un élément fondamental qui m’ a toujours tenu à coeur dans l’exercice de mon travail: je ne veux pas être cantonnée, et je peux aussi bien prendre en charge des supermodels blancs que des hommes et des femmes noires. Certes, chaque peau a ses spécificités mais tout s’apprend, contrairement à ce que prétendent certains professionnels qui utilisent leur méconnaissance des peaux noires ou des cheveux texturés comme prétexte à leur paresse.
Je souhaite également combattre ces mythes qui voudraient que les noir(e)s aient forcément la peau épaisse, les dictons de type « black don’t crack ». Il est absurde de parler des peaux noires comme d’une entité indéfectible. Le fait que je vienne d’une famille diverse avec une mère blanche et une soeur Coréenne m’a sensibilisée à ces questions, et il serait temps que les formations d’ésthetique intègrent ce type de facteurs.
Vous qui travaillez avec plusieurs insiders de la mode, est ce que vous constatez une évolution des moeurs sur ces questions essentielles?
J’ai été aux premières loges au fur et à mesure des années, et je connais parfaitement les frustrations d’une jeune fille noire qui se rend dans un spa et à qui on répète des lieux communs qui tiennent du mythe. Dès lors qu’il faut maquiller un mannequin à la peau noire où dont la carnation s’éloigne du standard blanc, les make-up artists n’ont souvent pas les produits appropriés, et les résultats ne sont pas à la hauteur. Fenty a largement contribué à ce que ces problématiques soient abordées, et de nombreuses marques ont suivi. Mais il en aura fallu du temps! L’un de mes clients est un célèbre acteur noir, qui m’explique que la plupart du temps quand il se voit en interviews, sa peau est grise. Certains mannequins en sont réduits à amener leur propres produits sur les shootings, et ce n’est pas acceptable. J’ai pu remarquer qu’aux Etats-unis, j’ai un écho assez fort, car les Américains voient en moi l’une des personnalités qui contribue à faire avancer les choses sur le vieux continent. Les mentalités commencent néanmoins à évoluer, et je suis ravie d’être l’une des actrices de cette progression. A terme, j’espère pouvoir former sur ce type de problématiques.
Quels sont vos projets? Face au succès, envisagez-vous d’ouvrir un institut?
Je suis revenue en France pour pouvoir ouvrir mon propre espace. Le Covid est passé par là et ce projet est donc repoussé, mais j’éspère bien avoir mon propre espace en 2022. L’idée est de transmettre mon savoir-faire pour pouvoir répondre à la demande grandissante, car je commence à atteindre mes limites en termes de disponibilités. Je ne souhaite pas créer des formations de masse et à grande échelle, car selon moi pour bien faire je me dois de former chaque personne après l’autre.
Quels sont vos rituels self-care, et comment prend-on soin de soi quand nos mains sont notre principal outil de travail?
Auparavant, je prenais énormement de clientes et j’étais tres fatiguée, aujourd’hui je m’impose un maximum de quatre clientes par jour. Mon état d’esprit est fondamentalement différent, je gagne moins d’argent mais ca me convient tellement mieux! Je crois sincèrement qu’une cliente sent la fatigue accumulée à la fin de la journée, et j’ai à coeur de toujours proposer à chacun(e) une experience unqiue, où je suis présente à 100%. Il y a des choses que j’évite de faire afin de préserver mes mains qui sont en effet mon outil de travail: à Londres, j’avais commencé à pratiquer l’escalade mais j’ai du abandonner. Toute la journée, je fais des petits exercices, une sorte de gym manuelle pour préserver mes articulations.
Aussi, je médite chaque jour et je vais régulièrement voir Paula, une healerspécialiste du recentrage et des énergies. En Angleterre et en particulier dans le East End Londonien, cette culture là est très présente, popularisée par des évenements comme Glastonbury. J’étais un peu sceptique au début mais cela me fait un bien fou. Ses petits exercices de pleine conscience m’aident à gérer mon stress, à me recentrer. Je les pratique tous les soirs avant de dormir, et je m’accorde dix minutes sans écran ni distraction allongée dans mon lit; mes idées sont plus claires et ca recharge mes batteries.
Comment votre activité s’est t-elle adaptée à la pandémie et aux confinements successifs?
Ma communauté Instagram a bondi pendant chaque confinement. Les gens renouent avec les fondamentaux, se réapproprient leurs corps et sont plus à l’écoute de leurs sensations. Les vidéos de massage rencontrent un vrai succès, et la géneration Tik Tok sensibilise les parents à ce type de contenus. Je ne cracherai jamais sur les réseaux sociaux, car je n’aurais pas la carrière que j’ai sans Instagram. Au cours de cette pandémie, j’ai aussi pu constater à quel point la jeune génération est informée sur la beauté et à quel point elle tord le cou aux poncifs véhiculés sur le féminisme, qu’on aime à caricaturer et opposer à la feminité et la beauté en général.